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retour de cendres

« Juste retour de cendres » (J. Derrida, Feu la cendre, 1987).
Si les choses de l’art commencent souvent au rebours des choses de la vie,
c’est que l’image, mieux que toute autre chose, probablement, manifeste cet état de survivance qui n’appartient ni à la vie tout à fait, ni à la mort tout à fait, mais à un genre d’état aussi paradoxal que celui des spectres, qui, sans relâche, mettent du dedans notre mémoire en mouvement.
L’image serait à penser comme une cendre vivante.
Déjà, Nietzsche affirmait que « notre monde tout entier est la cendre d’innombrables êtres vivants »
– refusant par conséquent « de dire que la mort serait opposé à la vie
».

Georges Didi-Huberman. Le génie du non-lieu

Le feu est meurtrier mais il est beau. Après l’incendie, comme au printemps, « c’est à ce moment que l’on voit le mieux l’ossature de la terre» (HJ). Il est le langage de la géologie. On voit enfin ce qui était caché, les couches de terrains et celles du temps, comme un palimpseste, une mémoire en route. Il est épiphanie dévoilement, révélation.
En Chine, au Japon, il parle avec les idéogrammes des troncs calcinés sur fond de ciel blanc. Il est aussi signe des temps.

… Avec sûreté Hervé Jézéquel nous parle de tous ces motifs. La souffrance de la terre, des végétaux, ces bras tendus, ces totems inclinés, ces souches qui montrent leurs boyaux, ces arbres qui se soutiennent comme père et fils, ces pierres éclatés qui ressemblent à des crabes fossilisés, toutes pinces dehors face au volcan qui crache, ces roues tragiques de caravanes fondues. Que faisaient-elles là? Ses habitants ont-ils eu le temps? Ces bidons torturés. Ceux de l’incendiaire sûrement. Ces rubans de Moebius qui continuent de serpenter. Pour aller où ? Vers quel infini ? Ces poteaux téléphoniques qui ne communiquent plus que du vent. Et ces objets indéfinis, informes, qui demandent qu’on les renomment et qu’on les regardent une dernière fois. Ce sont les plus tragiques, comme les montres molles d’Hiroshima. Et pourtant, comme à Hiroshima, tel le ginko qui résista et reparut le premier hors de l’enfer atomique, Ima wa siro hi hana saaku, une libellule jaune sur un sarment calciné. Une branche de houx. Certitude végétale, certitude animale. Incertitude des hommes. Voici venu le temps des incendies. Cela tombe bien. Avec tous ces arbres, on ne voyait plus l’horizon, on ne voyait plus rien. Il faut incendier toutes les îles pour qu’on y voit à nouveau la mer.

Patrick Prado. anthropologue, extraits de «Incertains incendies» I